Assis devant la Seine, je regardais Paris
Notre-Dame était noire, la lune se levait.
J'ai vu que c'était moi.
Assis devant la Seine, je regardais Paris
Notre-Dame était noire, la lune se levait.
J'ai vu que c'était moi.
Assis ici tu n'es pas là. Et tu attends des trains qui ne s’en iront pas. Tes gares sont déjà vides de voyageurs partis. Tu restes et tes yeux voient les horizons distraits. D'autres yeux que les tiens ne les comprendraient pas. Sur la chaise cannelée tes fesses s'appesantissent. Ton café refroidit et ton verre d'eau tiédit. Assis à la terrasse, tu regardes un soleil mais qui n'est pas celui qui brûle les passants. Tu n'es pas là. Tes départs sans bagage avivent incessamment tes imaginations, tu lis toutes tes vies au fil des pages tournées. Immobile vagabond tu survoles les villes. Tu longes les murs aveugles couverts de graffitis où pisse un chien tranquille. Tu enjambes les ponts où filent des trains lents vers des banlieues de songe. Assis à la terrasse tu as vu les châteaux, tu sais les plages blanches. Elles sont à toi, rêveur. Tu es ce que tu veux, voyageur sans départ.
Je suis folle et la mer est à moi. Je suis irraisonnée dans le soleil caché. Et la mer crache et pleure le désarroi que je voudrais vous dire. En gestes lents et graves je danse ma folie vaine. Je suis une démone, je suis autre que vous. Je vous dirais cela si vous le compreniez, vous ne le pouvez pas lors je parle à la mer aux matins de juillet, ou d’août ou de septembre. Tous les matins se valent quand on est belle ou folle. Et moi je suis les deux, je tangue à en mourir. Je tangue et me balance telle une poupée soûle. Oui je suis folle et soûle et plus belle que vous. Les pieds nus sur le sable et la mer pour décor j'essaie, combien j'essaie, de dire qui je suis. Je n'y parviendrai pas c'est un combat perdu. Je suis folle qui me bats pour des défaites sûres. J'aime les déchéances je chéris les naufrages. Sur la plage absolue je m’échoue noblement. J'essaie avec grandeur de dire la misère de ceux que l'on ignore. Vous me voyez peut-être vous ne me savez pas. Que pourriez-vous savoir de vos yeux de Terriens. Je suis une hirondelle à la course erratique dans un ciel trop grand. Je suis trop concentrée, je m'applique à l'excès. C'est qu'il est lourd parfois le poids de mon délire. Je voudrais le traduire, je voudrais le détruire dans mes efforts risibles. Ceci n'a pas de sens à ce que vous croyez. Je suis l'impératrice des Choses Incomprises. Je suis une diva que personne n'écoute, je chante aux oreilles sourdes un air trop compliqué. Je suis belle et absurde et je suis malheureuse. Ô heureux soyez-vous qui ne saisissez pas, heureux maintenez-vous qui ne connaissez rien. Je suis la folle émue, je suis la seule sur Terre. Je cherche mes semblables et ne les trouve pas. Je ne vois que la mer que la Terre et le ciel. Je suis une déesse à la création nulle. Je suis toute puissante qui ne règne sur rien. Venez regardez-moi et vous ne verrez rien. Je suis déjà partie et vous êtes encore là. Où vous serez toujours, où je n'irai jamais.
Ce lieu n'existe pas. Et c'est toujours le même. Il pleut. Il y a du gris, il y a du brun. C'est le printemps. C'est le soir. Il y a une esplanade. C'est l'heure où les commerces sont fermés. Ce serait l'heure des longs apéros en terrasse mais il pleut. Ce jour n'existe pas, C'est comme un vendredi, mais il y a du jeudi aussi. La pluie n'est pas si forte, juste pour mouiller un peu. Elle va cesser un peu plus tard. Je pense que les cafetiers vont pouvoir sortir pour sécher leur terrasse, il fera jour encore. C'est mai, avec un peu de juin. L'odeur du pétrichor, c'est la seule chose qui compte. On est triste et heureux.
Il n'existe pas non plus. Il marche sous la pluie comme un Petit Prince. Il est adulte, je pense quelque part entre la jeunesse et moi.
Il n'a pas de nom et il ne parle pas, seulement en phrases écrites. Personnage de papier cela lui convient bien. Cette ville est vide car il n'est pas besoin de foule. Il faut juste que je lui parle, que je lui dise un ou deux mots de papier. Cela m'est difficile car je n'existe pas. Si j'existais je serais timide, de toute façon. Je suis sans âge précis, vers le milieu, vers le mai de ma vie qui pourrait être juin.
La pluie se raréfie. Il fait tiède. Mes bras nus sont mouillés.
Cette histoire n'existe pas. C'est lui qui me le dit, et de ses mots écrits en noir, d'une belle écriture, me confie qu'il aime ce que j'écris.
Je suis touché et, de ma plume, lui souris. Ses yeux d'encre me voient.
Franchir la barrière
Passer les limites
Et t'épouser
Je ne suis plus moi
Je suis égaré
Je vis
Il n'y avait rien que du petit peu
Il n'y avait rien que du quotidien
Usé
Et la barrière
Qui me fascinait
Qui m'interdisait
Et je me taisais
J’étais un immobile
Zélé
Franchir la barrière
Toucher ma peur
De te caresser
De te serrer
Te dissoudras-tu
T’enfuiras-tu
Sous mes doigts
Je te regardais
Je me détournais
Puis j'y repensais
Et la barrière
Me retenait
Me contenait
J’étais épuisé
Insecte affolé
Je m'obstinais
Sur la vitre
Je me heurtais
Je me cognais
Sans comprendre
Franchir la barrière
Voir le soleil
Et te parler
Tu me répondrais
Je te dirais
Et tu saurais
Je me tairais
Impatient de toi
Mais courageux
Et nous serions deux
Sans être amants
Encore
Et la barrière
Qui nous entrave
Et qui nous prive
Et qui attise
Entre toi et moi
Le feu
Franchir la barrière
Saisir les doutes
Regarder tes yeux
Toucher ta peau
Sentir ta main
Frémir enfin
En un souffle court
Et je dirai oui
Quand tu voudras
Et la barrière
Qui nous a tués
Qui nous a faits
Un peu tombera
Franchir la barrière
Deux petits bonshommes
On sera
Je suis fils de novembre et des jours tristes et pâles. Je suis le ciel laiteux d'un jour morne et sans bruit. Je suis soleil blafard qui longe l'horizon de peureuse lumière. Je suis la nuit qui tombe toujours un peu plus tôt. Je suis la terre stérile qui ne veut plus donner. Je suis les cieux gelés où passe un oiseau seul. Je suis le rouge et l'or qui s'envolent et s’entassent. Je suis poème appris qu'on récite au tableau. Je suis la cour d'école dans le soir qui descend. Je suis la pluie qui brille dans les phares des voitures. Je suis les flaques d'eau que leurs roues font gicler. Je suis les étincelles sur les rues détrempées des feux rouges luisants et des lampadaires blancs.
Je suis aussi châtaigne je suis aussi citrouille. Je suis ce monde entier qui descend vers l'hiver.
Je suis ces yeux fixés par-dessus la bougie. Si noirs qui me regardent dans la lueur qui tremble. Je suis heureux et triste, mort et vif à la fois.
Novembre qui m’as fait, je suis ce que tu es.
Je suis soudain tombé
elle avait disparu
j'étais un écorché
je vivais mal et peu
c'était avant Noël
il faisait encore doux
Madame entre
le rideau qui derrière elle retombe
plus rouge encore qu'avant son arrivée
de stupeur saisi j'attends
que faisait-elle ici
les froufrous impatients
l'escalier sombre
j'avais 20 ans
dans le soir qui tombe tôt
on n’y voyait que des ombres
Le rouge était sang séché
et le couloir obscur
assis j'étais petit garçon
mes yeux trop grands pour moi
j'imaginais la vie
toute une caravane rêveuse emplissait le boudoir
d'une vie lente et taciturne
j'ai su ce jour
Madame partait
elle ne me plairait jamais
La Seine a débordé dans une fin du monde. L'Angleterre a largué les amarres mais s'est empêtrée dans les cordages. La ville est en feu. Le cerveau bout. Le temps est compté. Les trains s'arrêtent. Je promène mon chat. Ce n'est que la mi-décembre, combien de choses encore avant Noël ? Le peuple, quel peuple ? se révolte. Le soleil et les notes. Explosion, tir et mort, on s'habitue. Suite et fin. Fin et suite. Les trains repartent. Une exposition, des naturistes au bois de Vincennes. On ne paye plus d'impôts. L'année prochaine, tout recommencera. Mes amis, mes amours, mes emmerdes. Les trains s'arrêtent. Giovanni, Gustav, Tristan, Marco, David, ronde incessante. La boucle est-elle bouclée ? Ce n'est que la mi-décembre. La Seine est rentrée dans son lit. C'est une révélation de novembre que ce jaune qui explose et tu te pète à la gueule. C'est fini. Le grand Charles, désormais, n'est plus. Les trains repartent. Des crottes de chien sur le trottoir, les choses éternelles. Bashung est ressuscité : avec Madame, je rêve et je mens je mens je mens. La mer au pied des falaises d'Etretat. L'aiguille se dresse et les côtes d'Angleterre qui s'éloignent, qui s'éloignent. Les trains s'arrêtent. En raison d'un mouvement social, pensée pour les voyageurs du temps. C'est une année blanche. Extrémismes, pavés. Le peuple. Le peuple n'existe plus. Je ris. C'est une belle année. Dans la banlieue de Londres, un Bouddha. Les années 70, folles seventies, sont entrées dans l'histoire. L'Angleterre arrivait en Europe. 50 ans presque, c'est fini bientôt.
Les trains repartent.
Il était dit qu'il serait seul. Comme les autres ici. Le ciel était bas et gris. Son chien s’appelait Frisrik. Et c'était tout.
Il avait tente ans. Ce serait la même chose quand il en aurait soixante. Frisrik mourrait. Un autre Frisrik vivrait. Combien de Frisrik lui faudrait-il pour finir sa vie à lui.
Éternel décembre. Tu marches sur la lande et regarde la mer. Il n'a pas neigé encore. Tu es grand, tu es blond, tu te tais et tu prépares ta maison pour l'hiver. Il va neiger, quand il aura neigé, tu attendras avril, si avril veut. Ou bien ce sera mai. Les gens d'ici attendent mai. Et quand mai sera là, tu prépareras novembre. Ou décembre. Comme cette année.
Le chien jappe et zigzague. Il sait qu'il n'y en a plus pour longtemps avant que la neige vous confine toi et lui dans la pièce près du poêle.
C'était une histoire ordinaire sans grand-chose à en dire. C'était l'hiver de ses trente ans. Ce serait le même hiver pour ses cent ans. Le même hiver pour ses mille ans. Et le chien japperait en attendant la neige. Ce serait une vie comme il y en a tant d'autres. Dans cette île trop loin, ce village trop petit. Sans personne à aimer qu'un chien qui court et jappe.
Tu aurais pu partir quand tu avais vingt ans. Tu étais grand et fort tu étais blond et beau. As-tu pensé aux lumières de la ville ? As-tu cru que des bras t’attendaient quelque part pour t’étreindre ? qu’une main quelque jour caresserait ta joue ?
Il était assis là à se frotter la barbe. Déjà décembre par la fenêtre faisait tomber le soir.
Le 17 novembre, il pleut des cordes sur la ville. C'est bien. C'est un vrai novembre. Je suis heureux que le temps soit triste. C'est mon novembre comme je l'aime. Un novembre dont on aime se plaindre. Je suis trempé et souriant. Ai-je un parapluie ? J'ai oublié. La place du Châtelet est désagréable. Sous la pluie de novembre, c'est pire. C'en est presque beau. Ce que je fais là, je ne le saurai qu'après. Après toi. Je t'ai rencontré le 17 novembre sur la place du Châtelet à Paris premier ou à Paris quatre. Je ne sais plus de quel côté du boulevard.
Le Zimmer et tes yeux dans les miens. Dix-sept novembre, il fait nuit à cinq heures. On n’entend rien du tumulte de la rue et les bruits des clients et du bar accompagnent ta voix qui souvent se tait. Je parle trop mais j'essaie de me calmer. Je ne sais pas quoi dire et donc vite et beaucoup je parle. Puis tu me regardes, puis je reste là, tu réponds d’un mot qui ne veut pas de réplique. Je le comprends enfin, je regarde, sait-on pourquoi, la table entre nous. On s’est tu tous les deux et c'était bien.
On a marché jusqu'à Notre-Dame où il n'y avait rien à faire. La pluie sur le parvis me rendait incertain. Je n'aurais pas voulu que tu croies que c'était ma faute. Je pensais ça. C'est idiot mais je pensais ça. Je te le dirai si un jour on devient quelque chose l'un pour l'autre. Là je ne disais rien.
Comment s’est-on rencontrés sur la place du Châtelet sous la pluie d'un 17 de novembre, je ne veux pas le dire ici. Je sais qu'on est allés voir un film que tu voulais voir, au cinéma près du BHV. On n’avait pas mangé, il était presque neuf heures.
J'avais faim. J'ai gargouillé.
A plus de onze heures, il ne pleuvait plus. Il fallait décider quelque chose. On travaillait demain. On crevait de faim et d'autre chose aussi. Enfin moi. Mais je ne savais pas le dire.
Attention, c'était le moment où quelque chose devait être décidé. Devant le cinéma dans la rue mouillée. Dans le doute, on a marché. Ce n'était pas vers chez moi mais tu ne le savais pas. Je ne savais pas que c'était vers chez toi. Le savais-tu ? Je te demanderai si un jour on devient l'un pour l'autre quelqu'un.
C'était loin. C'était bon de marcher dans la nuit de Paris dans les rues de novembre.
*****
La nuit je suis seule. Aussi seule qu'on peut l'être à Paris. Environnée de millions de gens mais qu'on ne voit pas trop. Tellement moins en tous cas que pendant la journée. Je coule nuit et jour mais je préfère la nuit, je coule toute l'année mais je préfère novembre. Aux nuits longues et pluvieuses. Novembre qui me rend grise. Je suis mélancolique et lente, novembre me correspond. À Paris je suis épousée, enserrée, endiguée, appelez ça comme vous voulez. Je ne connais Paris, je ne touche Paris que par mes quais. Il fut un temps bien loin fait de grèves en pente douce. Aujourd'hui tout est quai, tout est pierre ou béton. Aujourd'hui les gens flânent. Il y avait des voitures et il n'y en a plus. Et les gens se promènent. Je coule, ils se promènent, me regardent couler.
Dans la nuit de novembre il n'y en a que deux. Il a plu, il fait ni doux ni froid et demain on travaille. Il va être minuit que voulez-vous faire là. Les berges sont à eux, à ces deux-là qui passent. Je coule, l'air de n'avoir rien vu.
De ces millions de Parisiens du jour ou de l'été, il ne reste qu’eux deux, Parisiens de novembre.
Je clapote un peu comme pour dire que j'existe. Je crois bien qu'ils m'entendent, tant ils se taisent fort.
Et je pars vers la mer, je les ai laissés là, au pied du Pont Royal. Ils n'ont pas besoin de moi.